Nous ouvrons le débat avec Gilles de Lorenzo, le kinésithérapeute malvoyant, qui concocte les séances de gymnastique adaptée qui vous font bouger pendant le confinement. Accompagnateur bénévole de notre Club Emploi en Île de France, il plaide pour « un réinvestissement de l’espace public » par les personnes aveugles ou malvoyantes. « Rendez-vous visibles », dit-il.
Voici son propos…
Petite chronique du déconfinement, par Gilles de Lorenzo
« Voilà, nous avons un horizon qui se dessine mi-mai.
La crise sanitaire est toujours là, mais - et c’est un grand mais - la situation se normalise. Nous aurons à lutter contre les trois sorcières que sont la démotivation, la désocialisation et la dépression.
Notre arme : se préparer à une nouvelle rencontre avec les autres. Un impératif : réinvestir l’espace public. La déficience visuelle n’est pas synonyme de vulnérabilité. Certains d’entre nous sont, certes, plus fragiles, il faut les protéger et il faut qu’ils se protègent, mais les autres déficients visuels n’ont pas vocation à rester invisibles. La vie, ce n’est pas cela, même si au premier abord, cela semble plus simple, voire conseillé par un entourage qui se veut bienveillant.
Dans un premier temps, le respect des consignes gouvernementales s’impose, mais à bien y regarder, elles laissent un champ libre à une réappropriation de notre environnement immédiat. Faire ses courses, sortir le chien, retrouver ses repères dans son quartier… Toutes ces petites choses sont des victoires sur nos sorcières et elles nous permettent d’être à nouveau visibles. Retrouver le bruit de la rue, un sol plus ou moins régulier au bout de plusieurs semaines demande un temps d’acclimatation et génère de la fatigue. L’essentiel est ailleurs. La rencontre avec les autres, l’application des mesures barrières changent notre quotidien. Le respect de la distance de sécurité se révèle utopique quand on doit se faire aider pour traverser une rue, par exemple, ou chercher une adresse.
Trouver seul son paquet de café sur un rayon de magasin relève de l’exploit. Toutes ces actions, tous ces contacts doivent être repensés pour nous permettre à nouveau une vie de relations avec les autres qui, dans un premier temps, peuvent se montrer réticents, voire absents.
Le besoin et le droit à l’autonomie restent encore et toujours de mise (chiens, GPS, canne électronique) afin d’être le moins dépendant possible. C’est indispensable. Mais il ne faut pas se leurrer : nous aurons toujours besoin de l’entourage, des associations qui sont à nos côtés, les services publics, les services dédiés tels que les accompagnements dans les gares et aéroports, et du grand public.
Dans le travail et les études, la maîtrise des outils informatiques spécifiques, l’accès aux bases de données, l’autonomie dans l’espace de travail et la relation avec nos collègues aideront les déficients visuels à rester visibles dans la société.
À nous de trouver les solutions pour retisser les liens, mais cela prendra du temps. La peur de l’autre est une forme de peste tout aussi contagieuse et persistante il faut le savoir, mais ce n’est pas une fatalité. À nous d’agir.
Voici maintenant la contribution au débat, de Bertrand Vérine, administrateur aveugle du GIAA/apiDV, mais également président de l’Afont, l’association pour la fondation du toucher. Lui s’inquiète de la « diabolisation » actuelle du toucher qui est si essentiel aux déficients visuels.
Voici son propos.
Étions-nous des cochons avant la pandémie ? par Bertrand Vérine.
« Rappelons que ces animaux, biologiquement très proches du genre humain, passent leur temps non seulement à se salir… mais aussi à se laver, du moins quand on leur en laisse la possibilité. Or une des révélations de la crise sanitaire actuelle est que beaucoup de nos semblables avaient oublié la deuxième moitié du programme, sans doute parce qu’ils n’étaient pas assez conscients de la fréquence à laquelle ils touchent leur environnement.
Très sérieusement, la situation de pandémie souligne la différence d’attitude culturelle qui subsiste vis-à-vis de la vue et de l’ouïe, d’un côté, du toucher, d’autre part. Pour l’audition, des campagnes de santé publique et des réglementations officielles rappellent fréquemment qu’il est dangereux d’exposer ses oreilles à une musique trop forte ou au bruit prolongé de certaines machines. Cependant, le conseil n’est jamais d’arrêter d’écouter de la musique ou d’utiliser certains appareils : le sens commun et, parfois, la loi recommandent seulement de limiter le niveau sonore ou de se protéger en portant des bouchons.
Pour la vision, les médias ont relayé le fait que soumettre ses yeux à la lumière bleue des dispositifs électroniques en fin de journée perturbe le sommeil, et que le faire trop longtemps au travail finit par endommager le cristallin ou la rétine. On sait aussi, notamment depuis les débuts du cinéma, que « certaines images peuvent choquer ». Toutefois, la préconisation n’est jamais de s’abstenir de regarder dans l’absolu : le bon sens limite seulement la durée de certaines activités visuelles, ou réserve certains spectacles à des âges déterminés de la vie.
Dans le cas du toucher, en revanche, le réflexe culturel est d’en revenir à l’interdit pur et simple : en particulier, « il ne faut pas se toucher le visage », « pas céder à la tentation », etc. Or, comme le rappelle un article du Monde en date du 21.04.2020, se frotter le visage avec un mouchoir est totalement bénin. Plus simplement encore, on peut « continuer à se toucher le visage en ayant pris soin de se laver les mains ». Il ne faut donc pas rediaboliser le toucher, mais apprendre à toucher en toute conscience, et proprement ! »
Lire l’article du Monde sur https://lemonde.fr/planete/article/2020/04/21/pourquoi-nous-nous-touchons-le-visage-en-permanence-et-comment-concilier-cela-avec-le-port-du-masque_6037344_3244.html#xtor=AL-32280270
Retrouvez ce commentaire et beaucoup d’autres articles sur http://fondationdutoucher.org